« Silence tout le monde ! Par terre ! Tout le monde par terre ! ». Les images de la tentative de coup d’État du 23 février 1981 tournaient en boucle hier à la télévision espagnole.
30 ans après l’assaut du Parlement par le colonel Tejero et ses gardes civiles, l’Espagne rouvre une page obscure de son histoire ; celle d’une journée qui mit en branle une démocratie balbutiante, née six ans plus tôt, à la mort de Franco.
Depuis une semaine, le souvenir de ce « 23-F », comme l’appellent les Espagnols, s’invite dans toutes les conversations. Les témoins de l’invasion du Parlement –journalistes, députés, fonctionnaires de la Chambre-, défilent dans les médias. Les journaux réimpriment les éditions publiées dans l’urgence du Coup d’État. Même les cinémas bousculent leur programmation ! 23-F, un film à gros budget, est sorti en salles hier, alors qu’en Espagne les films sont habituellement lancés le vendredi.
Alimentant cette fièvre historique, le Parlement a levé le secret sur le compte-rendu de la session du 23 février 1981. On y découvre le récit chronologique des 17 heures pendant lesquelles les députés sont devenus les otages des militaires. En guise de commémoration, le président du Congreso de los Diputados a convié hier les parlementaires de 1981 à un déjeuner de gala avec le roi Juan Carlos.
À l’extérieur de la Chambre, les quidams échangent également leurs souvenirs. Car les Espagnols veulent empêcher que le temps n’efface les traces du Coup d’État. Pour 73% d’entre eux, il est important de commémorer le 23F, selon un sondage du journal El País. En 1991, ils n’étaient que 48% à ressentir ce devoir de mémoire. Aujourd’hui, les langues se délient. Mariano, le propriétaire d’un bar situé à quelques mètres du Parlement, se confie à ses clients. « Pendant que Tejero exécutait son Coup d’État, moi je me promenais devant le Congrès des Députés, sans rien soupçonner. Quand je suis arrivé chez moi, ma femme était devant la radio. Elle m’a dit de me taire et d’écouter ».
Comme tant d’autres, Mariano se souvient du message apeuré du journaliste de la Cadena Ser : « La Garde Civile pénètre en ce moment dans le Congrès. Un colonel armé d’un pistolet monte à la tribune… ».
Beaucoup veillèrent jusqu’à l’apparition du roi à la télévision. À 1h14, sept heures après le début de l’assaut, Juan Carlos ordonnait aux militaires de se ranger derrière la Constitution et forçait ainsi le retour à l’ordre.
Depuis, une majorité d’Espagnols se reconnaît volontiers « juancarlista », à défaut d’être royaliste. Selon le journal La Razón, ils sont 81% à attribuer au roi l’échec du Coup d’État. Le monarque, installé sur le trône en vertu des lois franquistes, fonde aujourd’hui encore sa légitimité sur le rôle qu’il joua il y a 30 ans face au colonel insurgé.
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En bonus, un faux bétisier des enregistrements ratés du roi, réalisé par la très drôle émission catalane d'humour politique Polònia... Si elle est capable d'en rire, c'est que l'Espagne n'a plus peur de ses fantômes.
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