Ce blog délaissé ressurgit une nouvelle fois des ténèbres par l'intermédiaire d'un président catalan. J'ai interviewé la semaine dernière Carles Puigdemont pour une publication dans Le Figaro (€). L'entretien a duré une bonne heure, et même si nous avons eu les faveurs de la Der', il a fallu sortir les sécateurs. Comme le sujet de l'indépendantisme en Catalogne intéresse, semble-t-il, certains francophones, et une fois un temps prudentiel écoulé depuis la publication -on ne va tout de même pas léser les abonnés-, je propose ici une version longue.
Pour le contexte, cet entretien s'est tenu le jeudi 19 mai 2016 dans le bureau du président au Parlement régional. La polémique du moment concernait un match de football ; le lendemain de notre conversation, l'objet du débat a été désamorcé, la justice administrative autorisant l'introduction au stade des drapeaux indépendantistes que la préfet de Madrid avait tenté d'interdire.
Les échanges se sont produits en espagnol, qui n'est la langue maternelle ni de l'un, ni de l'autre, mais qui est une langue de travail très habituelle de l'un et de l'autre. La traduction a été faite par mes soins, au moment de retranscrire le texte. Pour la petite histoire, il arrive parfois à Puigdemont de commettre un catalanisme, comme lorsqu'il emploie le verbe "defensar", tombé en désuétude depuis belle lurette dans la langue de Cervantes au profit du plus moderne "defender". Votre serviteur tente pour sa part d'éviter les gallicismes, mais n'y parvient pas toujours. Le président régional parle aussi français assez bien, comme il me l'a démontré en fin d'entretien, mais l'usage de cette langue pendant une heure aurait ralenti et alourdi nos échanges.
Carls Puigdemont pendant l'interview. Photo Jordi Bedmar.
LE FIGARO. — Vous refusez de voir la finale de la Coupe du Roi, entre le Barça et le FC Séville, si l’interdiction de porter des drapeaux indépendantistes catalans est maintenue. Vous considérez que cette interdiction de l’estelada porte atteinte à la liberté d’expression ?
Carles PUIGDEMONT. — Évidemment. C’est inadmissible en démocratie. L’estelada es un drapeau parfaitement légal, un drapeau que des millions de Catalans brandissent quand ils manifestent pour la liberté et la démocratie, qui est accrochée à des centaines de milliers de bâtiments et de balcons de ce pays. Depuis qu’elle existe elle a toujours été associée à la démocratie et la liberté, jamais à autre chose. L’interdire, avec des arguments discutables et contradictoires, c’est n’importe quoi. Je ne peux pas participer comme représentant de la Catalogne quand on porte atteinte à sa liberté d’expression.
Contradictoire, pourquoi ?
On nous dit que ce n’était pas un drapeau officiel. Le drapeau du Barça ne l’est pas non plus. Il y a, chez les gens qui viennent de l’ancien régime [de la dictature franquiste, NDLR], à Madrid, une confusion entre ce qui est officiel et ce qui est légal. C’est évident que ce drapeau ne figure pas dans la Constitution. Mais la liberté d’expression va au delà, d’un point de vue démocratique. Les organes du pouvoir en Espagne manquent de culture démocratique.
C’est un drapeau partisan, celui des indépendantistes…
Il serait partisan si c’était le drapeau d’un parti, c’est un drapeau qui fait partie du patrimoine historique catalan. C’est un symbole du catalanisme politique et civique. En 2012, 2013, 2014 et 2015, plus d’un million et demi de Catalans ont brandi ce drapeau, sans un incident, et ont réalisé les manifestations démocratiques les plus importantes de l’histoire de l’Europe occidentale. Cela mérite le respect, même si on n’est pas d’accord avec cette idée. Je pourrais rentrer avec un autre drapeau, n’importe lequel, ce ne serait pas interdit, c’est absurde ! Ce n’est pas un drapeau qui appartient à la liste des symboles que la police demande aux clubs d’interdire et de poursuivre. C’est le drapeau des Catalans qui ont combattu les nazis, de ceux qui sont morts dans les camps d’extermination.
C’est une décision politique ?
En Espagne, tout est utilisé pour faire de la politique : la justice, il n’y a pas de séparation de pouvoirs, le sport, la diplomatie… tout ce qui devrait être à l’écart de la politique. C’est un exemple très clair, le fruit de cette vision partielle, sectaire de l’exercice du pouvoir. Pourquoi les supporters catalans sont-ils traités comme des citoyens de seconde zone ? Cette vision sectaire du pouvoir, c’est l’Espagne à laquelle nous voulons échapper.
Il est habituel que, lorsque le Barça arrive en finale de la Coupe du Roi, une partie de ses supporters siffle l’hymne national espagnol ou la figure du roi. Pensez vous que cette interdiction, si elle es maintenue, peut amplifier le phénomène ?
Ce sont deux choses différentes. Nous, nous sommes un peuple qui n’a rien contre le peuple espagnol. Notre protestation est dirigée contre le gouvernement. Je ne suis pas partisan de ces sifflets. Le président de la Généralitat [le gouvernement régional catalan, NDLR] et le drapeau catalan sont sifflés ailleurs, je n’aime pas ça, mais il faut défendre la liberté d’expression. Poursuivre quelqu’un parce qu’il siffle l’hymne espagnol ou l‘hymne catalan n’est pas correct. Moi, je ne suis pas partisans de siffler les symboles qui sont importants pour les peuples : les drapeaux, les hymnes, les personnalités…
Le Parlement catalan a reçu récemment Arnaldo Otegi. Il s’agit du représentant de la gauche aberzale (“patriote”) basque, considérée comme la vitrine politique d’ETA, qui a renoncé au terrorisme en 2011. La présidente du Parlement l’a reçu personnellement, ce qui a été critiqué en Espagne. Approuvez-vous cette démarche ?
C’est une question pour elle. Monsieur Otegi a purgé sa peine, non ? En politique, je me responsabilise de ce que je fais.
On parle de la deuxième autorité de la Catalogne, qui appartient à la même formation que vous…
Y-a-t-il quelque chose qui rende cette action illégale ?
Je vous pose la question de l’opportunité politique.
Il y a un intérêt pour ce qu’il se passe au Pays basque. Moi j’ai parlé hier avec le président de la région Pays basque. Le processus de paix au pays basque a des acteurs différents. L’État espagnol par exemple, ou la gauche abertzale.
Pourquoi vous, ne l’avez-vous pas reçu ?
Je n’ai pas reçu de demande. Je reçois les leaders des principaux partis espagnols, les leaders des syndicats, des représentantes de la société civile de toutes les tendances.
S’il vous l’avait demandé, auriez vous reçu Arnaldo Otegi ?
Je ne sais pas. On ne sait pas encore s’il est candidat, il n’est pas député… Mon agenda et mon temps sont limités. Je reçois déjà beaucoup de gens de toutes les tendances. En qualité de quoi l’aurais-je reçu ?
La même qualité que celle qui a expliqué qu’il soit reçu par la présidente du Parlement…
Je crois en la séparation des pouvoirs. Le Parlement est souverain dans ses compétences, et le gouvernement aussi. Monsieur Otegi, je ne sais pas qui il représente exactement, je comprends qu’il a une valeur politique, donc il est reçu au Parlement. Mais au gouvernement, je ne vois pas l’utilité de le recevoir. Ce serait utile s’il était président du gouvernement basque, je n’aurais pas d’inconvénient à le recevoir dans ce cas là.
La majorité indépendantiste au Parlement catalan s’est donnée 18 mois pour développer trois lois devant permettre la sécession. Où en est-on ?
Il faut préparer des lois et il faut préparer des instruments d’État. Cette législature va servir à cela. Quand cela sera prêt, la législature arrivera à sa fin et nous convoquerons des élections pour une assemblée constituante.
En quoi avez-vous avancé ?
C’est au Parlement de rendre compte des travaux législatifs. Nous, nous préparons tout ce qui nous incombe avec le plus grand silence et la plus grande discrétion.
Est-ce plus facile de le faire pendant que le gouvernement espagnol est en situation d’intérim ?
Ce n’est ni plus facile, ni plus difficile. Depuis les élections catalanes du 27 septembre dernier, la politique catalane s’est émancipée de la politique espagnole. Elle prend ses décisions de manière indépendante. Avant, la politique catalane était conditionnée par la politique espagnole. Cela explique pourquoi l’Espagne, pour la première fois de son histoire, n’a pas pu former de gouvernement. C’est sans importance, nous allons mener notre politique avec un gouvernement intérimaire ou investi. Ce qui est évident, c’est que cette situation d’intérim rend plus difficile le quotidien des citoyens catalans et espagnols, et inquiète l’Europe. Et c’est préoccupant, parce que nous avons un pays à gérer.
Le ministre de l’Économie et votre vice-président se sont rencontrés hier, ils se sont félicités du climat… Il y a donc un dialogue.
Nous, nous parlons tous les jours. Nous allons à Madrid, nous faisons des propositions au plus haut niveau. S’il n’y a pas d’avancées, ce n’est donc pas parce que nous le voulons pas, mais parce que le gouvernement espagnol ne répond pas. Il est bloqué.
Madrid étudie la conversion de crédits à court terme en crédits à long terme pour une valeur de 1,6 milliard d’euros, de manière à ce que l’administration centrale se porte garante…
Tout le monde dit oui. Mais les mois passent, et les crédits ne sont pas convertis. Ils font aussi de la politique avec le financement de la Catalogne.
Ce blocage est-il dû à la situation d’intérim ou est-ce que c’est politique ?
Les deux. L’intérim n’aide pas la vie quotidienne des Espagnols, il perturbe la récupération économique. Et puis les responsables politiques sont incapables de faire passer l’intérêt général avant les intérêts de leurs partis. Ce ne sont pas les Espagnols qui ont mal voté. Ils ont décidé. Ce sont les gestionnaires de ce résultats qui sont incapables.
Vous parlez d’émancipation. Le Parlement catalan a voté une résolution où il demandait au gouvernement catalan de ne pas soumettre au Tribunal constitutionnel. Pourtant, vous faites appel à ce tribunal pour contester certains textes…
Et nous continuerons de le faire. Le même jour ou nous avons annoncé un agenda pour devenir un nouvel État indépendant au sein de l’Union européenne, j’ai dit que nous exercerions au maximum toutes les compétences prévues par la Constitution. Que personne ne se fasse d’illusion ! Nous n’offrirons aucun euro, aucune compétence, nous allons lutter pour tout ce à quoi nous avons droit. Nous n’allons pas jeter l’éponge. Nous lutterons jusqu’au jour de l’indépendance, car nous défendons les intérêts des citoyens.
N’y a-t-il pas là une incohérence ?
Non. Nous défendons souverainement nos intérêts souverains.
Vous acceptez donc l’autorité du Tribunal constitutionnel ?
Nous faisons un processus qui a la plus grande sécurité juridique. Nous cherchons le pacte, l’accord. Nous ne sommes pas dans un processus de rupture unilatérale, de claquer la porte… Nous cherchons la négociation. C’est au gouvernement espagnol de dire s’il partage cette logique. Pour nous, la défense de l’intérêt des Catalans est fondamental. Mais le Tribunal constitutionnel ne peut pas être une troisième chambre politique. Il ya une confusion des pouvoirs, c’est un tribunal politisé
Vous l’acceptez de manière temporaire ?
En ce moment, nous appliquons la législation constitutionnelle espagnole, c’est évident, parce qu’il n’y a pas de législation de remplacement. C’est évident. Les règles du jeu que nous suivons sont celles que nous décidons souverainement de suivre. Quand nous déciderons de suivre un autre cadre légal, nous le ferons également de manière souveraine.
La déclaration d’insoumission au Tribunal constitutionnel s’appliquera donc plus tard, quand la législation catalane sera prête ?
Pour le moment cette déclaration est suspendue…
Cette déclaration est suspendue en vertu d’une décision du Tribunal constitutionnel auquel le Parlement se disait insoumis…
Et parce que pour le moment, nous n’avons pas pris la décision d’agir comme un État indépendant. Quand nous aurons approuvé notre propre législation, nous aurons un mandat démocratique pour le faire. Nous ne laisserons personne à découvert : ni les fonctionnaires, ni les citoyens, ni les fournisseurs. Nous allons réclamer jusqu’au dernier centime les obligations qu’a l’État espagnol vis à vis de la Catalogne.
Dans ce processus de remplacer une législation par une autre, il y a un moment où vous cesserez de respecter la loi A, espagnole pour respecter une loi B, catalane. Pour l’Espagne, vous serez simplement en train de violer la loi A. Jusqu’où voulez vous allez dans cette rébellion juridique ?
On verra ce que dira l’Espagne, ne nous anticipons pas. Je suis responsable de dire ce que nous, nous allons faire.
Mais vous serez en train de violer la loi A…
Nous serons en train d’agir dans le cadre légal du Parlement de Catalogne, où il y a une majorité absolue qui approuve des lois, comme en France, en Espagne ou dans n’importe quelle démocratie. Et l’exécutif élu par ce Parlement doit obéir aux lois obéies par ce Parlement. Toutes les lois seront approuvées par mêmes ces règles du jeu démocratique qui opèrent dans tous les pays démocratiques du monde. Nous serons en train d’obéir à quelque chose de beaucoup plus important et d’antérieur aux textes légaux, la volonté démocratique des gens. Ce sont les gens qui changent les lois. On irait très mal si les sociétés ne pouvaient pas changer les lois. Et nous avons été très clairs quand nous nous sommes présentés aux élections. Personne ne peut s’étonner aujourd’hui !
Vous dites que vous vous êtes émancipés de la politique espagnole. Mais à Madrid, le représentant de votre parti au Parlement espagnol a fait allusion à la possibilité d’aider à former un gouvernement si ce dernier acceptait d’organiser un référendum…
C’est une proposition qui est sur la table. L’Espagne aurait pu économiser ces élections anticipées. Les responsables politiques espagnols auraient pu économiser ces quasi 200 millions d’euros que coûtent ces élections inutiles avec un peu de bon sens et de notion de réalité. Il aurait fallu accepter qu’il y a une réalité politique en Catalogne, qui ne leur plait sans doute pas, mais qui est réelle. On a mis les cartes sur la table : mettons nous d’accord sur un référendum. Ce n’est pas quelque chose d’extraterrestre. C’est ce qui a été fait en Écosse, ce n’est pas si insolite.Mettons nous d’accord là dessus, et vous pourrez compter sur nous pour contribuer à la gouvernabilité.
C’est une offre qui est faite au premier bloc qui serait prêt à négocier un référendum ?
Évidemment. Il y a un énorme consensus politique et social en Catalogne. Plus de 80% des Catalans acceptent que l’on règle cette question en votant. Je suis convaincu que cette proposition aurait un soutien important, même en Espagne.
On a parfois l’impression que vous continuez d’attendre une proposition de Madrid, une alternative. Car vous parlez d’émancipation, mais on ne voit pas d’avancées concrètes sur les lois que vous préparez.
Non, on n’attend rien. On prend des décisions. Ce n’est pas parce qu’on ne les voit pas qu’elles n’existent pas. Les gens peuvent penser qu’on n’avance pas, peu importe, on travaille, eux seront peut-être surpris un jour. Les responsables politiques espagnols doivent comprendre que le temps de la tactique, c’est terminé.
Mais pour le moment il n’y a aucune confrontation juridique réelle
Les processus ont des temps On est à un autre temps. Il y a des événements prévus dont on ignore l’influence… Quelle influence peut avoir le référendum sur le Brexit ? Quel gouvernement y aura-t-il en Espagne ? On peut prévoir un gouvernement PP - Ciudadanos, mais un gouvernement Podemos - PSOE est possible également… Autant d’événements qui peuvent arriver, mais nous ne savons pas dans quel sens. En ce moment, nous construisons des structures d’État et nous préparons un corpus législatif. Nous laissons toujours une porte ouverte à la négociation. Nous sommes assis sur une table dont nous n’allons pas nous lever. Ceux qui voudront s’avoir seront toujours les bienvenus.
Quelle est votre ligne jaune ? Est-ce qu’une proposition à l’intérieur de l’Espagne, qui protège la langue, qui reconnaisse le droit d’autodétermination et qui améliore les financements de la Catalogne, les trois sujets les plus habituellement cités, pourrait être envisagée ?
C’est de la fantaisie. Il y a deux projets réalistes sur la table. L’un d’entre eux est l’indépendance. Il ne plait pas à une partie de l’Espagne, mais il est là, il existe. L’autre c’est le statu quo actuel : le modèle des communautés autonomes, qui, de mont point de vue, a explosé. On spécule sur une proposition que personne n’a formulée. Mais imaginons que cette fantaisie soit réelle. On l’a déjà fait en 2006. La réforme du Statut de la Catalogne [sorte de Constitution régionale, qui régule les relations entre l’administration autonome et le pouvoir central, NDLR], approuvé par le Parlement catalan, le Congrès des Députés, le Sénat, et un référendum en Catalogne, était un pacte constitutionnel pour accommoder la Catalogne en Espagne. Le Tribunal constitutionnel l’a dégommé. On a essayé. Mais le Parti populaire a lancé une pétition, souvent en argumentant explicitement contre la Catalogne. Quelqu’un, qui gouverne l’Espagne en ce moment, a impulsé une pétition non seulement contre le Statut mais aussi contre la Catalogne, c’est à dire contre un peuple. Est-ce que quelque chose a changé depuis cette décision rendue en 2010 ? La situation politique a changé en Catalogne en tout cas. À l’époque il y avait une poignée de députés indépendantistes, à présent il y en a 72.
Cette voie est donc enterrée ?
Cette voie est une hallucination, un délire. L’Espagne devrait dire : “Tout ce que nous avons mal fait, nous allons le faire différemment”. Cela va se terminer par un État catalan indépendant dans l’Union européenne, que cela plaise ou non à l’Espagne.
L’Espagne peut s’opposer à une entrée ou une permanence de la Catalogne dans l’Union Européenne…
L’Espagne a son mot à dire. Mais jusque là, l’Union européenne n’a émis aucune opinion officielle. La Commission européenne ne s’est pas prononcé formellement.
Mais tous les dirigeants interrogés, nationaux ou communautaires, ont expliqué que la Catalogne serait exclue de l’UE…
Ce sont des opinions, mais il n’y a pas de position formelle de l’Union européenne sur l’éventualité d’une Catalogne indépendante. Ne préjugeons pas, en particulier avant de voir ce qui se passera au Royaume uni. On verra ce que fera l’Union européenne en fonction du résultat du Brexit, ce qu’ils disent qu’ils feront et ce qu’ils feront finalement. L’Union européenne est un exemple éloquent de réalisme politique et de capacité d’adaptation à un environnement changeant.
Imaginons un scénario intermédiaire, où une déclaration d’indépendance ne provoque ni un cataclysme, ni la situation idéale dont rêvent les indépendantistes. Entre une éventuelle déclaration d’indépendance de la Catalogne et sa reconnaissance internationale, un certain temps peut passer, et davantage si l’Espagne s’oppose à cette indépendance. Que devient le quotidien des Catalans, que vous dites protéger, pendant ce temps ?
Il est possible aussi que cela se passe différemment. L’Union européenne, en vertu de sa capacité d’adaptation reconnue, pourrait aussi reconnaître une réalité qu’elle n’aime pas mais qui existe. Nous allons travailler pur que cela se passe ainsi. Il y a des motifs pour que personne ne veuille plus de problèmes que nécessaire.
Certains pays, la France par exemple, peuvent considérer que l’indépendance de la Catalogne leur provoquerait plus de problèmes que nécessaire, notamment sur leurs propres territoires…
Au final, c’est le réalisme politique qui s’imposera en Europe. La Catalogne représente 2% de l’économie européenne. Elle occupe une position stratégique reconnue par tous : le port de Barcelone, le couloir ferroviaire méditerranéen, le tissu industriel, 25% des exportations catalanes… Ce serait surprenant que l’Europe, qui s’efforce de retenir le Royaume uni, parfois en contradiction avec ses principes originels, ne fasse aucun effort pour que la Catalogne ne continue pas d’appartenir au concert des nations européennes. Il faut être réaliste : il n’y aura aucune catastrophe si le Brexit l’emporte, il n’y aura rien non plus de contraire au réalisme politique dans le cas de la Catalogne. Si le Brexit l’emporte, l’Europe s’adaptera. Si le oui l’emporte au Royaume uni, mais pas en Écosse, on verra ce qui se passera, quel sera le message sur une partie d’un État qui veut s’émanciper… Peut-être que l’UE aura beaucoup d’intérêt pour accueillir la Turquie et aucun intérêt pour retenir la Catalogne… Mais peut-être que certains pays d’Europe occidentale, comme la France, protesteraient.
Pour le moment, tant François Hollande que Nicolas Sarkozy ont défendu explicitement l’unité de l’Espagne…
Nous ne connaissons pas la position des pays face à une demande de reconnaissance de la Catalogne par l’Union européenne. Nous ne sommes pas encore dans cette situation. Aujourd’hui les pays font cause commune avec un État membre et ami, l’Espagne, c’est assez logique. Il y a des réalités qui ne plaisent pas mais qui existent. Lors des dernières élections catalanes, deux millions de personnes, citoyens espagnols et européens, ont demandé à sortir de l’État espagnol. Il y a plus de partisans de l’indépendance de la Catalogne que d’habitants dans un État membre indépendant tel que la Slovénie. Est-ce que cela intéresse quelqu’un ? Visiblement, l’État espagnol ne se préoccupe pas de cette réalité, il l’ignore.
Comment devrait être adoptée cette indépendance, et avec quels pourcentages ? La feuille de route indépendantiste prévoit, au terme de cette législature de 18 mois, un référendum sur une Constitution catalane, pas un oui ou non à l’indépendance…
C’est exact. Quand nous convoquerons des élections constituantes, le Parlement issu des urnes devra élaborer la Constitution d’un État indépendant. Il devra y avoir une majorité de députés disposés à le faire. C’est un premier filtre démocratique que nous devrons passer et que nous passerons. Le second filtre démocratique, c’est le vote de la Constituion catalane.
Avec quel pourcentage considéreriez-vous le futur Parlement catalan légitime pour préparer une Constitution catalane ?
50% plus une voix. Nous compterons les votes pour les listes à faveur de rédiger une Constitution, d’organiser un référendum et de proclamer l’indépendance. Nous compterons les votes pour les listes qui sont contre. Et nous décompterons les indifférents.
C’est une interprétation qui fait débat. Ces élections seront formellement des élections régionales classiques et certains électeurs voteront en fonction d’autres critères que l’indépendance.
Ce sont les règles du jeu d’un référendum. On nous exige les résultats d’un référendum. On comptera et on verra.
Et quel pourcentage sera-t-il nécessaire pour approuver cette Constitution d’un État catalan indépendant ?
50% plus une voix. Je veux bien que l’on nous exige d’autres quorums, mais alors dans le cadre d’un pacte avec l’Espagne. Peut-être que l’on devra accepter un minimum de 55% ou 60%, je ne sais pas. Mais il faut un accord. Ce que l’on ne peut pas accepter, c’est que ceux qui ne veulent pas d’un référendum nous imposent les règles de ce référendum. L’accord est possible. On veut bien parler du résultat, de la date, de la question, des propositions à consulter… L’Espagne peut avoir une proposition, de type “devolution max” au Royaume-Uni… On peut la soumettre à référendum, à condition que ce soit au même niveau que la proposition de l’indépendance. On accepte que la proposition espagnole puisse concourir avec l’option indépendantiste pour laquelle les gens se sont déjà mobilisés. On peut même prévoir un moratoire : combien de temps doit-il s’écouler avant d’organiser un nouveau référendum d’indépendance, si le premier se solde par un échec.
Certains Catalans hostile à l’indépendance dénoncent un climat désagréable, où ils préfèrent taire leur opinion plutôt que d’avoir à se justifier, parce que l’hostilité à l’indépendance est devenue politiquement incorrecte. Entendez-vous cette plainte ?
Je suppose qu’en Angleterre il y a également un débat très intense sur la sortie ou non de l’Union européenne. De là à dire que c’est un climat opprimant… Est-ce que moi je peux dire en Espagne que je suis indépendantiste sans crainte d’être insulté, vilipendié ? À Madrid, des nazis ont attaqué des indépendantistes… Ce mouvement a fait sortir à la rue depuis 2012 plus d’1,5 million de personne chaque année, sans faire de mal à une mouche, il a intégré des jeunes et des personnes âgés, des gens qui parlent catalan et d’autres qui parlent espagnol, des immigrés… Que devons nous faire de plus pour démontrer que nous ne sommes ni un mouvement violent ni un mouvement excluant ?
Ma question était de savoir s’il était plus commode d’être indépendantiste qu’unioniste en Catalogne.
Moi, je suis indépendantiste depuis de nombreuses années. La première fois que j’ai tenu une pancarte, les gens qui étaient à mes côté ont été arrêtés, c’étaient des indépendantistes. Ça, c’était très incommode. Personne ne s’est inquiété de notre confort. Ceux qui se déclaraient indépendantistes risquaient la matraque ou l’arrestation. Ou d’avoir moins d’options sur le marché du travail. Les produits catalans ont été boycottés. Est-ce que c’est commode, ça ? Je n’ai jamais vu personne d’inquiet à ce sujet. On nous a dit pendant des années que nous étions victimistes. Je ne vais pas à mon tour utiliser cet adjectif. Mais ce processus désarme ceux qui sont hostiles à l’indépendance parce qu’il mêle les classes, les générations, les cultures. Ce n’est pas un processus d’ethnicisme national, bien heureusement.
Les commentaires récents