Miser sur la fin du monde a un gros défaut : en cas d'erreur on a l'air très bête, en cas de réussite on ne peut pas empocher le gain. À Hawaï, deux scientifiques ont passé outre. L'Étasunien Walter Wagner et l'Espagnol Luis Sancho prédisent que si rien n'est fait, il est à peu près certain -à 75%- que la planète Terre disparaisse d'ici quelques mois.
Alors ils font quelque-chose : ils attaquent devant un tribunal du dernier État-Uni le super laboratoire Large Hadron Collider (LHC) de Genève, géré par le Centre Européen de Recherche Nucléaire (CERN). Ils l'accusent, rien que ça, d'un "génocide potentiel".
Savants fous ou derniers des sages, les deux compères sont en tout cas parvenu à faire naître un débat passionné, essentiellement aux États-Unis, sur la dangerosité de jouer au big bang avec les atomes et les devoirs de transparence des scientifiques. Le quotidien The New York Times [en] et la télevision MSNBC [en], entre autres nombreux médias, n'ont pas tardé à se prendre au jeu. Quant aux billets des blogs, on les compte déjà par centaines.
Comme pour l'instant le débat a suscité peu d'articles en français, je reprends ici les éléments essentiels d'une longue interview [es] contextualisée de Luis Sancho, que j'ai publiée dans le journal numérique espagnol ADN.es. L'intérêt d'écrire sous une licence Creative Commons, c'est que je peux me copier et me traduire sans avoir à demander son avis à ma chef, à partir du moment où je me cite ("je, je, je", voilà qui est fait).
Pour résumer très sommairement, leur théorie expose deux risques fondamentaux : quand le LHC entrera en fonctionnement -la date a été repoussée a plusieurs reprises, et peu de gens osent donner une échéance plus précise que "2008"-, il pourrait crée un trou noir susceptible d'"avaler" la planète Terre.
Autre perspective tout aussi réjouissante, le bricolage de particules pourrait générer une "matière étrange" ou strangelet, qui transformerait la planète bleue en une étoile de neutrons, privée de vie telle que nous la connaissons.
Ça peut. Ou pas. Le problème, c'est qu'il est extrêmement difficile en sciences dures d'écarter absolument une hypothèse, d'où par exemple le caractère potentiellement infini du principe de précaution. Sancho et Wagner n'arrangent pas les choses, puisqu'ils ne proposent pas de mathématisation de leurs idées, ce qui est largement critiqué par l'immense majorité des physiciens, par exemple Juan José Gómez Cadenas, interrogé [es] par un collègue et néanmoins ami mien.
Le raisonnement se tient néanmoins sur le plan de la logique pure. L'idée est qu'il existe un risque de trou noir, et que ces trous noirs risquent de ne pas s'évaporer, contrairement à la théorie d'Hawking. Grosso modo, Sancho assigne après une courte démonstration logique une probabilité de 50% à cette hypothèse (A), le même facteur de risque qu'il attribue au deuxième danger, la création de strangelet (B).
La combinaison du risque A, du risque B, et du risque A + B donne selon Sancho un résultat de 75%, d'où le titre de l'interview, la plainte en justice et tout le débat blogo-médiatique.
Si vous voulez vous faire peur, lisez l'explication complète, l'affidavit [pdf en] : le document juridique par lequel Sancho certifie sa plainte face au notaire.
Si vous préférez vous rassurer, lisez la presse anglophone et cherchez les interviews de chercheurs établis, je n'en ai vu aucune qui confirme les craintes de Wagner et Sancho.
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